Nous plaçons cette narration dans la rubrique « Histoire », car ce récit de la vie d’un homme, Günter Noack, s’inscrit dans l’histoire de Bousval et dans la grande Histoire.

Il est aussi question de musique dans la famille Noack, Günter étant le père de trois musiciens (Pierre, Gérard et Michel) et le grand-père de sept petits-enfants, tous passionnés de musique et dont l’un est un pianiste virtuose de renommée internationale (Florian).

En 2023, la chapelle de Noirhat a accueilli un concert de Marc Grauwels dirigé par Gérard Noack, dont nous vous avions dit qu’il est le fils du dernier meunier du Moulin de La Motte.

Le 28 septembre, nous aurons l’honneur d’accueillir, dans la même chapelle, le fils de Gérard : Florian Noack.

D’où vient donc cette famille de musiciens au nom à consonance germanique ?

Christiane Hauchart connait bien Pierre et elle a obtenu de lui qu’il nous raconte l’histoire de son père, Günter, que nous vous présentons aujourd’hui.

Merci à Pierre pour ce partage, lui qui fut chef scout à Noirhat et qui vit actuellement en Allemagne.      

Günter Noack est né le 25 octobre 1925 dans le Land de Brandebourg (Allemagne), frère cadet de Werner et Hilde.

Son père, Otto Noack, est fermier et pratique aussi le débardage au cheval c’est-à-dire le transport de troncs d’arbre destinés aux charbonnages de Silésie. Günter conduit souvent l’attelage et, quand il s’endort de fatigue, les chevaux connaissent le chemin.

Otto a un passe-temps favori, il joue du trombone et on l’engage souvent pour se produire dans les fêtes régionales. Günter, lui, apprend le violon à l’école.

La Seconde Guerre mondiale va tout bouleverser.

Otto est envoyé en Roumanie dans un régiment de cavalerie où il a le grade d’adjudant.

Werner et le jeune mari de Hilde meurent en Russie.

Otto doit rentrer pour s’occuper de la ferme car, à 17 ans, Günter est enrôlé dans l’armée allemande.

Après quelques semaines d’instruction aux environs de Berlin, celui-ci est envoyé en Italie (région du Mont Cassin) dans une division d’artillerie de campagne ; il y occupe la fonction d’estafette, utilisant une moto Opel avec sidecar pour tirer des câbles de communication entre diverses unités.

Pour éviter les tirs, il roule le plus vite possible pour rejoindre ses camarades abrités dans une ferme. Entrant dans la cour de celle-ci, il prend son virage trop vite et se retrouve sous le sidecar. Sérieusement blessé, des côtes endommagées, il est hospitalisé, plâtré jusqu’au cou, infesté de puces dans la chaleur torride de l’été italien.

De retour dans son unité qui finit par capituler, il est fait prisonnier par l’Armée britannique puis envoyé en Belgique pour travailler dans les charbonnages près de Charleroi.

(NDLR : il faut savoir que dès la libération de la Belgique, il faut relancer l’économie. Le charbon est la matière première indispensable :  on parle de « Bataille du charbon ». Ainsi dans un premier temps, 60.000 prisonniers allemands ont été obligés de descendre dans les mines).

Günter, habitué au travail à l’air libre à la ferme et dans les bois, n’aime pas se retrouver dans l’espace confiné du charbonnage, dans les « entrailles de la Terre ».

Un évènement va égayer sa vie : l’YMCA (mouvement de jeunesse chrétien anglais) offre des instruments de musique aux prisonniers et Günter hérite d’une trompette.

À partir de là, il passe son temps libre à apprendre à jouer de cet instrument et il participe à de petits concerts donnés par les prisonniers (fête de Noël par exemple).

Jouer de la musique lui plaît bien plus que le travail sous terre ! Et sa musique fait aussi le bonheur de ses compagnons, astreints comme lui au travail au fond de la mine. Tant et si bien que ceux-ci le laissent dormir pendant les heures de travail pour qu’il soit en forme pour jouer le soir à la cantine et donner de la joie à ces mineurs éreintés après une très rude journée !

Cependant, la vie de Günter va bientôt changer.

Un fermier de la région de Braine-l’Alleud a été très gravement blessé, coincé jambes écrasées entre un chariot et les chevaux qui le tiraient lorsque ceux-ci se sont emballés.

Une demande d’aide est adressée à cette main-d’œuvre occupée dans la mine.

La proposition est faite à Günter par son chef de groupe qui est aussi un des musiciens.

Günter accepte d’autant plus volontiers qu’il retrouve l’air libre et que ce travail correspond à son expérience du travail à la ferme et avec les chevaux : il ne retournera jamais au charbonnage.

Günter promet au fermier de travailler pour lui jusqu’à sa guérison, qui adviendra en 1948.

Entretemps, cet agriculteur a acheté le moulin de Ways, sur la Dyle : il y envoie Günter, chargé principalement de moudre des grains pour le bétail.

Günter avait pensé retourner en Allemagne, mais sûrement pas en zone russe où ses parents habitent. Dans le reste du pays, les conditions de vie sont très précaires. Il décide donc de rester provisoirement en Belgique où il a été bien accueilli.

Progressivement, Günter apprend le métier de meunier et il envisage de devenir indépendant.

Il se marie avec Renée Dallemagne.

En aout 1955, six mois après la naissance de leur premier fils, ils emménagent au moulin de La Motte à Bousval dont le meunier, Émile Michel, vient de prendre sa pension. Les deux familles vivent ensemble dans la maison pendant sept années au cours desquelles deux autres fils naitront.

Pierre, Michel, Gérard et Günter

Émile continue la formation de Günter, non seulement la mouture de céréales pour le bétail, mais aussi la mouture de froment pour la boulangerie. Cela inclut l’entretien du moulin – les paliers des roues, les dents de bois des grands engrenages, le rhabillage des meules – et des berges de la Cala et du vivier.

Les temps changent. Les moissonneuses-batteuses modifient   les   méthodes de travail des fermes : les grandes  granges  restent vides, qui servaient à stocker les gerbes de céréales jusqu’au moment où la batteuse venait pendant l’automne et l’hiver. 
Les moulins construisent des silos et offrent de conditionner et entreposer le grain. Günter continue à développer le moulin de La Motte. 
Au début des années 60, il se procure quelques machines pour nettoyer, conditionner et sélectionner les grains pour la production de semences ou d’orge, en particulier pour les malteries.

Quelques années se passent et il faut construire des silos pour emmagasiner le grain pour les fermes des environs. 

Un moulin électrique à marteaux devient indispensable ainsi que d’autres appareils, car le moulin à eau ne produit que 100 kg / heure de farine fine de boulangerie et environ le double de farine pour le bétail. 

Le moulin augmente son offre pour l’agriculture avec des engrais (de la firme Semailles à Soignies), les aliments pour le bétail (de Stordeur à Louvain) et finalement les produits phyto (Shell).  La mouture pour la boulangerie n’est pas rentable et est arrêtée pendant plus de 10 ans, même si elle reprend un peu pour répondre à des demandes particulières du mouvement bio dans les années 1970.

La vie de Günter s’apprête à prendre un nouveau tournant : les fermes du voisinage sont vendues, le petit moulin n’est plus rentable face à de plus grandes entreprises, l’atmosphère devient désagréable avec la pollution de la Cala sans compter celle que produit le home installé dans une ancienne ferme. Günter avance en âge et n’a plus la santé d’un jeune homme.

Cela contribue à l’arrêt des activités du moulin qui sera vendu à la fin des années 80.

Günter et son épouse déménagent à Tilly où Günter est décédé le 29 novembre 1999.

Et la musique dans tout cela ?

Otto jouait donc du trombone. Günter apprenait le violon à l’école avant que sa vie ne soit bouleversée par la guerre et celle-ci lui a donné l’occasion de s’initier à la trompette.

Pierre souhaite accompagner les chants scouts et il apprend la clarinette.

Gérard commence la flûte traversière et il décide rapidement d’en faire sa profession.

Michel, lui, commence le hautbois.

Voyant cela, Günter décide de rejoindre ses fils et il apprend le cor.

« C’est ainsi que nous avons pu jouer en quatuor, quatuor qui, lors de nos visites en Allemagne, a accompagné notre grand-père Otto jouant au violon des airs traditionnels.« 

Les 7 petits-enfants de Günter font de la musique, Florian étant devenu pianiste professionnel.   

Info complémentaire : https://www.lebousvalien.be/ patrimoine/patrimoine-industriel/les-anciens-moulins/le-moulin-de-la-motte/

(1) Les silos à grain ont été vendus et démontés.  Ce qui restait (peut-être, reste encore), ce sont les fondations.  Michel avait du temps à passer durant son service militaire et il décida un jour de détruire les fondations pour reverdir le coin. Comme la bonne qualité du béton ne lui permettait pas de résultat rapide, il décida de préparer un mélange explosif constitué de sucre et d’herbicide. C’est durant cette entreprise que la charge a explosé.  Résultat : Michel blessé et embarqué à l’hôpital militaire ; et les fondations sont probablement encore intactes !

(2) Le moulin fut racheté par M. Hambye.  La maison sert d’habitation.  Le moulin tombe en ruine.