« Le bon sens n’est pas un argument, c’est le dernier recours de ceux qui n’en ont pas »

Nous reprenons ici le titre d’une tribune de Luc de Brabandere parue dans « La Libre » du 5 mars dernier.

Voilà un titre un brin provocateur : n’avons-nous pas la certitude de disposer de ce bon sens qui nous permettrait d’avoir un avis pertinent sur tout et d’agir en conséquence ?

Et pourtant, cette notion de bon sens n’est-elle pas souvent galvaudée, utilisée à tort et à travers ?

En témoigne le discours d’investiture de Donald Trump le 20 janvier 2025 : « Aujourd’hui, je vais signer une série de décrets historiques. Grâce à ces mesures, nous entamerons la restauration complète de l’Amérique et la révolution du bon sens (common sense revolution). Tout cela est une question de bon sens ».

En en appelant au bon sens, il s’exonère d’explications et ferme la porte à la discussion. Il utilise un « argument » d’autorité en s’appuyant sur une supposée opinion commune, sur un prétendu bon sens populaire.

Cet appel démagogique au bon sens populaire est au cœur d’une rhétorique qui prétend s’adresser au peuple souverain – supposé penser comme ceux qui s’en réclament – contre les élites et la démocratie représentative.

Lisons ce qu’en dit Luc de Brabandere, entrepreneur et philosophe :

« Je comprends évidemment que le « bon sens » ait du succès, car il semble a priori pourvu de beaucoup de qualités. D’abord il n’est pas compliqué, c’est le simple bon sens qui s’impose. De plus il se consomme par petite dose. Dans pas mal de cas, un peu de bon sens fait l’affaire, parfois un minimum de bon sens suffit, voire même le bon sens le plus élémentaire. Autrement dit, quelques molécules et on est bon.

Ce fameux bon sens a donc lentement changé de statut. Il était une invitation individuelle à penser, et il est devenu une invitation collective à ne plus le faire.

Après avoir préparé le terrain à la démocratie, un système fondé sur le débat qui donne la parole à toutes les parties et à tous les points de vue, le bon sens devient ainsi lentement un poison qui la met en danger.

L’appel au bon sens consiste le plus souvent à vouloir court-circuiter le débat public propre aux sociétés démocratiques.

Il nie le fait que le corps social n’est pas un tout homogène, et que l’idée même de démocratie suppose que tout citoyen réfléchisse aux grands enjeux de son temps et se positionne par rapport aux principales thèses en présence.

En se dissimulant derrière le bon sens, ceux qui s’opposent à la modernité rassurent les inquiets en donnant des explications simples. Ils proposent une politique qui prétend dépasser la politique, qui se décrit même comme apolitique, et ne doit donc pas se justifier.

Le débat politique n’est plus alors une question de choix entre des valeurs fondamentales, mais plutôt entre des personnalités qui paraissent le plus pourvues de ce fameux bon sens, et ce n’est pas si grave s’ils abusent de leur pouvoir et deviennent des dictateurs.

Le bon sens n’est pas un argument, c’est le dernier recours de ceux qui n’en ont plus ».

Nous empruntons la conclusion à Boris Cyrulnik : « L’ignorance provoque un tel état de confusion qu’on s’accroche à n’importe quelle explication afin de se sentir un peu moins embarrassé. C’est pourquoi moins on a de connaissances, plus on a de certitudes. Il faut avoir beaucoup de connaissances et se sentir assez bien dans son âme pour oser envisager plusieurs hypothèses ».

Cet éditorial n’est pas un plaidoyer contre le bon sens (quand il implique que nous exercions notre jugement avec prudence et intelligence) ni contre la participation de chacun.e au débat démocratique, auquel nous sommes profondément attachés.

Nous avons le droit de nous exprimer ; le dialogue entre élu.es et citoyen.nes est essentiel, comme en témoigne par exemple la suite donnée à notre article du mois de mars sur la vitesse excessive. L’échevin Etienne Lengrand y a réagi et se montre ouvert à la discussion et prêt à considérer nos propositions. Il est souhaitable que soient aussi entendues celles du comite@bois delamotte.be qui concernent la mobilité apaisée.

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